Nous avons rencontré l’écologiste Sandrine ROUSSEAU lors d’une manifestation contre les violences faites aux femmes à Lille, le 6 novembre 2022. Celle-ci a gentiment accepté de répondre à certaines de nos questions sur ses engagements politiques, sur l’écologie, mais également sur le combat féministe qu’elle mène depuis plusieurs années.
Le Canari : Commençons par le thème au centre de votre engagement politique, l’écologie. Aujourd’hui, nous savons que la coopération internationale est nécessaire pour endiguer le réchauffement climatique. Aux vues des dernières conférences, comme la COP26, estimez-vous que les engagements adoptés par une grande partie de la communauté internationale soient suffisants ? Si non, que considérez-vous encore insuffisant et que proposeriez-vous en plus ?
Sandrine ROUSSEAU : Pas du tout. Actuellement, nous n’avons pas réduit la quantité de CO2 sur laquelle nous nous étions engagés. En 2015, la COP21 reposait sur un principe qui a été largement signé et qui visait à durcir les objectifs de COP en COP. Cependant, cet engagement n’a toujours pas été tenu car les émissions de carbone continuent d’augmenter. La COP26 a donc non seulement été un coup d’épée dans l’eau mais elle a également donné l’illusion que les choses avancent, alors qu’il ne se passe rien. Il y a des pays qui sont responsables de cet échec, notamment la Chine et les Etats-Unis qui, même s’ils ont fait des efforts, ne vont toujours pas assez loin. A eux s'ajoutent bien sûr les autres pays développés, mais aussi nous, la France. En effet, ce sont les pays les moins riches qui subissent en premier lieu le réchauffement climatique que nous avons massivement généré. Or, quand il s’agit de leur donner de l’argent pour qu’ils puissent s’adapter et faire en sorte que leurs populations ne souffrent pas de ce changement climatique, nous sommes radins. Aujourd’hui, la France est à feu et à sang sur l’immigration et la sécurité, alors que 70% de la population va habiter le long des côtes au moment où le réchauffement climatique sera le plus grave et où la mer montera le plus fortement. Cela veut donc dire que 70% de la population mondiale est susceptible de migrer dans les prochaines années. Mais, comment gère-t-on cela ? On ne peut donc pas être radin au moment où il faut que ces pays puissent s’adapter rapidement. De plus, outre le fait que nous traitons les migrants d’une manière ignoble aux frontières, nous avons une attitude irresponsable vis-à-vis de l’étranger et de la migration car nous ne faisons rien pour diminuer ces flux migratoires. Je pense donc que nous n’arriverons pas à de réels résultats en termes d’environnement tant qu’il n’y aura pas une autorité internationale, comme ce fut le cas pour le commerce. En effet, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a des tribunaux spécifiques et elle peut prendre des décisions de justice. Rien de tel n’est conçu pour l’environnement. Il existe bien sûr une instance au sein de l’ONU, mais elle reste faible et ne possède pas de pouvoirs judiciaires ou d’obligations. Il est désormais essentiel de créer une telle entité, qui contrôlera les engagements des pays, car aujourd’hui tout repose sur du déclaratif. Il faudra donc que cette autorité soit capable de saisir une justice internationale et de sanctionner les Etats.
Le Canari : Avez-vous vu le film Don’t Look Up ? Pensez-vous que ce film est une métaphore pertinente de la crise climatique en cours ? Est-ce selon vous un outil fort pour sensibiliser les populations à l’urgence écologique ?
Sandrine ROUSSEAU : Oui, ce film est une métaphore du réchauffement climatique. Cela étant, je trouve qu’il y a une limite dans cette métaphore, une limite qui est, à mes yeux, importante. En effet, dans le film c’est une comète qui vient de l’espace, sur laquelle nous n’avons aucune responsabilité. C’est-à-dire que cela tombe comme ça, nous n’y pouvons rien, c’est un peu le hasard. Ce qui n’est pas le cas du réchauffement climatique. C’est un biais de départ qui est assez différent parce que c’est nous qui en sommes responsables [du réchauffement climatique], et c’est à nous que revient la responsabilité de guérir les maux que nous avons nous-mêmes créés. C’est en cela que c’est différent. Cela dit, je trouve que c’est une excellente satire de notre société. Je trouve que la manière dont il traite du déni et de l’incapacité d’une société à entendre un message important, est bonne et pertinente. Les acteurs jouent extrêmement bien, avec toutefois la limite que je viens d’évoquer.
Le Canari : Pensez-vous que de telles mises en scène pourraient-être employées à d’autres fins, comme pour sensibiliser à la cause féministe par exemple ?
Sandrine ROUSSEAU : Personnellement, j’aimerais qu’il existe un film sur le féminisme qui inverse les rôles des hommes et des femmes. Bien qu’il y en ait eu quelques-uns, ils n’ont malheureusement pas été compris comme une critique sociale, alors que ce serait utile de voir à quel point ce que les femmes supportent, y compris dans l’espace public, ne seraient jamais acceptés de la part d’hommes. Je trouve donc qu’il serait intéressant de confronter cela.
Sandrine ROUSSEAU s’engage également contre les violences faites aux femmes, le Canari a voulu en savoir plus sur cette cause.
Le Canari : Depuis le début de l’année 2022, il y a déjà eu 7 féminicides et, en 2021, on en dénombre plus d’une centaine. Estimez-vous que les actions menées par le gouvernement soient suffisantes pour empêcher ces actes atroces et assurer la sécurité des femmes ? Que feriez-vous en plus ?
Sandrine ROUSSEAU : La réponse est dans votre question. S’il y a eu 7 féminicides depuis le 1 janvier 2022, évidemment l’action du gouvernement est insuffisante. L’objet n’est pas de dire, de faire des effets d’annonce, mais d’avoir des résultats. Là, en l’occurrence, on voit que ça ne diminue pas. Non seulement ça ne diminue pas mais à chaque fois ce sont les mêmes biais. C’est-à-dire que c’est une situation qui a été connue par les pouvoirs publics, et donc cela pose la question de comment faire pour vraiment obtenir la baisse des féminicides. Il y a plusieurs pays qui s’y sont attelés et qui ont obtenu des résultats. Pour cela, il y a plusieurs volets qui doivent être mis en place et qui ne sont pas mis en place aujourd’hui en France. Déjà, il faut de l’argent, parce que c’est un des nerfs de la guerre et que, par exemple, si nous voulons reloger les femmes, si nous voulons les mettre en sécurité, et bien il faut qu’il y ait immédiatement des appartements disponibles. Par ailleurs, il faut que ce soient des appartements de qualité parce que les femmes ne vont pas quitter un mari ou un conjoint violent si nous les logeons dans des taudis, à des kilomètres de l’école de leurs enfants. Donc, il faut qu’il y ait de l’argent, des logements et de l’accompagnement. Il faut aussi qu’il y ait de la prévention et pour ça il y a un enjeu très fort à l’éducation des filles et des garçons. Quand un homme est soupçonné de violence, il faut qu’il puisse, dès le départ, entrer dans un processus d’accompagnement pour qu’il cesse cette violence. Parce que toute la charge de la violence du compagnon ne tient pas qu’aux femmes, alors que c’est ce qu’il se passe en ce moment. On dit aux femmes “voilà, on va vous trouver un hébergement, il faut que vous partiez, il faut que…”, mais rien n’est fait pour que ces compagnons violents arrêtent de l’être, et avant qu’il ne tue. Donc, il y a tout ce volet-là qui nous manque. Après, il y a aussi un aspect qui est trop peu traité dans les politiques publiques françaises, c’est l’aspect soin. Les coups que l’on reçoit et les bleus disparaissent, mais les traces psychologiques demeurent, notamment chez les enfants qui aujourd’hui sont totalement hors des protocoles de soin. En fait, il faut des moyens pour accompagner les femmes et il faut une justice rapide et efficace. Enfin, il nous faut de la prévention et des soins.
L’actualité a été riche ces dernières semaines. Le Canari a donc voulu connaître les opinions de Sandrine ROUSSEAU, notamment concernant le ministre de l'Éducation Nationale ou encore la primaire populaire.
Le Canari : Jeudi dernier, nous vous avons vu solidaire aux enseignants lors de la grève nationale qui dénonçait le protocole sanitaire mis en place dans les écoles. Alors qu’un second épisode de grève est prévu demain, que pensez-vous de la polémique autour du Ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer ? Etes-vous de ceux qui appellent à sa démission ?
Sandrine ROUSSEAU : Alors oui, j’appelle à sa démission pour une raison très simple. Il a le droit de prendre des vacances, toutes les vacances qu’il veut. Simplement, quand on met en place un protocole sanitaire, dans les conditions croquignolesques dans lesquelles elles ont été mises en place, c’est-à-dire à la veille de la rentrée, dans un journal, avec un article payant, à 16h alors que la rentrée est le lendemain matin à 8h30. Quand on a ce niveau-là d'imprécisions, d’amateurisme, et qu’on apprend en plus qu’il était à Ibiza, rien ne va là-dedans. Rien ne va. Moi j’entends qu’il avait des vacances, mais il pouvait les prendre un tout petit peu avant, il pouvait se préparer. Par ailleurs, les professeurs, précisément parce qu’ils avaient ce protocole sanitaire, ont dû, eux, rentrer plus tôt pour s’organiser, pour organiser leurs cours, leurs classes, etc... Un Ministre doit être solidaire de ses troupes, c’est sa responsabilité. Alors, je suis d’accord sur le fait que c’est sans doute davantage un symbole qu’autre chose mais, la solidarité, ça n’est pas qu’un symbole. C’est une manière d’être en empathie, d’être en cohésion avec les personnes dont on a la responsabilité. Donc oui, j’appelle à sa démission.
Le Canari : Christiane TAUBIRA a récemment annoncé sa candidature à l’élection présidentielle. Dans ce contexte, ne craignez-vous pas un important éparpillement des votes à gauche lors du scrutin d’avril prochain ? Pourquoi les Verts maintiennent-ils une si forte opposition à l’idée d’une primaire populaire ?
Sandrine ROUSSEAU : Ce n’est pas une crainte, ce phénomène d’éparpillement existe. Tous les sondages le montrent. Personnellement, j’étais la seule des Verts a vouloir d’une primaire de la gauche. En tant que candidate de l’écologie, je m’étais d’ailleurs engagée à aller dans une telle primaire si j’avais gagné la primaire des écologistes. Je pense toujours que cette primaire populaire est une bonne initiative et que l’on aurait dû y répondre. Lors de notre primaire, cette question a notamment fait débat. De mon côté, je m’engageais à travailler sur une union de la gauche alors que Yannick JADOT souhaitait un bulletin de vote écologiste à l’élection présidentielle. En outre, les cadres du parti EELV, ne voulant pas d’union, ont massivement appelé à voter Yannick JADOT. Et la démocratie a tranché. Yannick JADOT a gagné la primaire des écologistes et sur cette base il poursuit ses engagements. Personnellement, je pense qu’il y a actuellement une bataille culturelle et idéologique à mener, mais que l’on se fait grignoter l’espace politique par l’extrême droite et que les trop nombreux candidats de la gauche exacerbent cette dissonance (même s’il n’aurait jamais été possible d’atteindre une seule parole à gauche). Néanmoins, nous sommes aujourd’hui fin janvier et je pense qu’il est maintenant trop tard pour l’organisation d’une telle primaire.
Nous remercions chaleureusement Sandrine ROUSSEAU d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Nous espérons que vous avez aimé cette interview ! N'hésitez pas à nous laisser un avis et faites-nous savoir quelles autres personnalités vous souhaiteriez que le Canari interview !
article rédigé par Léonie Delahoutre et Audrey Haranger, rédactrices à la rubrique politique
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