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Repenser l’adoption transraciale avec Amandine Gay

Marie Sirven

Née sous X en 1984, Amandine Gay est une fille adoptée noire par une famille blanche. Cette sociologue, afroféministe, réalisatrice et écrivaine française grandit à Lyon avec une mère institutrice, un père cantonnier ainsi qu’un grand frère de 12 ans d’écart, adopté lui aussi. Elle est diplômée de Sciences Po Lyon, étudie le journalisme en Australie et la sociologie à Montréal. Elle réalise et écrit le film « Une histoire à soi » en 2021 et le documentaire « Ouvrir la voie » en 2017. Les sujets abordés sont l’intersectionnalité, l’adoption et l’expérience sur la différence en tant que femme noire et les clichés tout en donnant la parole à ceux rendu invisibles.



(L’autrice préfère ne pas être qualifiée d’une « enfant adoptée » mais d’une « personne adoptée » puisque la plupart des adoptés en France sont maintenant adultes.)


Amandine Gay publie un essai autobiographique en septembre 2021 intitulé « Une poupée en chocolat » (La découverte) pour aborder le sujet de l’adoption transraciale, dite internationale. L’autrice se base sur son expérience personnelle pour parler de la quête identitaire d’un enfant noir adopté par une famille blanche.


Elle propose de politiser l’adoption pour protéger les personnes noires adoptées. En effet, par sa réflexion militante, Amadine Gay explique comment elles sont dépossédées de leur histoire par les institutions et très peu représentées dans l’espace public. Comment et sur quoi se construire ? Il n’y a ni mémoire familiale, ni arbre généalogique : le passé est comme effacé.


De plus, il n’y a très peu voire pas de suivi pour les personnes adoptés. Le livre est écrit certes pour renverser l’idée d’une adoption internationale d’un point de vue moral et humanitaire mais aussi dans le contexte du suicide d’un ami noir, lui aussi adopté.

Amandine Gay lie le problème de l’adoption transraciale aux données statistiques. En France, les données ethniques sont interdites mais aux Etats-Unis, des études prouvent que dans une fratrie : entre un enfant adopté et des frères, sœurs non adoptés, le taux de suicide d’un adopté est 4 à 7 fois plus élevé. Comment suivre correctement la personne si elle est niée dans cette dimension identitaire ?

Dans l’introduction de son livre, elle écrit « 36 ans et toujours là ». Cette phrase symbolise la difficulté, la souffrance de grandir dans le cadre d’une autre famille.


Comme il n’existe pas de suivi et que la société lie l’adoption à la gratitude, il n’est pas demandé si la personne va bien. Ainsi les pathologies de l’adoption ne sont résumées qu’à des troubles de l’attachement ou l’idée d’abandon. Il n’est jamais question des effets de l’acculturation, du racisme ou de l’opacité des dossiers d’adoption sur la santé mentale de la personne adoptée.


L’adoption transraciale est perçue comme une bonne action, et la société française et ses institutions nient des problèmes comme la socialisation raciale. En effet, un enfant noir adopté par une famille blanche ne peut bénéficier d’une sociologie raciale et ses références culturelles sont celles de ses parents adoptifs. En conséquence, l’enfant va être confronté au racisme mais ses parents ne pourront l’aider car ils ne subissent pas de racisme systémique.


Le débat n’est pas de se positionner pour ou contre l’adoption transraciale mais plutôt de la repenser, se questionner : est-ce vraiment dans l’intérêt de l’enfant de grandir dans une famille blanche ?


Amandine Gay lie l’adoption internationale à la marchandisation de l’altérité. En effet, l’adoption est un phénomène ancré dans les inégalités comme les rapports de classe. Les pays occidentaux adoptent majoritairement dans un rapport Nord-Sud. Cela coûte de l’argent d’adopter à l’international (il faut des avocats, une agence d’adoption) mais si nous politisons ce coût, l’enjeu devient l’aide pour un enfant à l’étranger. Il est donc possible de rediriger l’aide en le parrainant, pour qu’il ne subisse pas d’acculturation.


Dans le journal « 28 minutes » d’Arte, Amandine Gay est invitée pour présenter son livre « Une poupée en chocolat » où ils abordent le scandale français, celui des « Enfants de la Creuse ». Environ 2000 mineurs réunionnais sont officiellement « déplacés » en métropole pour repeupler des zones rurales et être des pupilles de l’Etat. De 1962 à 1984, des enfants souvent non-orphelins sont déracinés pour être exploités dans les champs, certains seront même violés. L’autrice relie ce scandale avec la question des réparations. Certes en 2018, une commission d’historiens a publié un rapport sur ce scandale, mais l’Etat français n’a jamais proposé d’aide financière pour ces victimes par exemple.


Amandine Gay se questionne aussi sur les effets de l’accouchement sous X puisqu’elle est à la fois afroféministe et une personne adoptée. Elle considère cela comme un acquis pour les femmes (de pouvoir posséder leur corps, de faire des choix) mais cela a aussi impacté négativement sa vie. Elle n’a jamais pu avoir accès à ses antécédents médicaux, ce qui était problématique lorsqu’elle était malade. Amandine met donc en avant l’opposition des droits des mères de naissance aux droits des enfants qui vont devenir des adultes.

L’expérience personnelle de l’autrice dans la découverte de l’identité de sa mère biologique n’a pas été apaisante. Le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) lui a permis de découvrir que sa mère est d’origine marocaine et qu’elle a accouché à 27 ans. Ces révélations ont été douloureuses, Amandine imaginait que sa mère biologique était pauvre ou très jeune. Cette souffrance a été causée par l’opacité de son dossier. Pendant de nombreuses années, les personnes adoptées fantasment sur l’identité de leurs parents, souvent négativement.



Dans la 4ème de couverture d’« Une poupée en chocolat », Amandine Gay écrit :


« On oublie trop souvent que si des familles sont constituées par l'adoption, c'est parce que d'autres, plus précaires, ont été détruites. Qu'il s'agisse des rapports de classes, des inégalités mondiales ou du continuum colonial, en contexte occidental, l'adoption est inscrite dans une histoire de violences. C'est de cette histoire que les personnes adoptées héritent ; contre ces persistances qu'elles luttent. »


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