top of page

Que risquent les journalistes d’investigation en France ?

Quand on pense à un journaliste d’investigation, on imagine souvent quelqu’un révélant les plus grands subterfuges de nos sociétés, ce qui a été caché, déformé, inventé, afin de rétablir la vérité et informer le grand public. Dans la réalité, leur tâche n’est pas aussi simple qu’il paraît. D’abord parce qu’il faut réussir à prouver les outrages faits, mais aussi parce que dévoiler la vérité comporte de grands risques. Les journalistes d’investigation doivent parfois faire une entorse à la loi ou enquêter auprès des personnalités les plus puissantes pour révéler de tels secrets. Et bien qu’ils soient célébrés par le public une fois leur travail accompli, les affaires peuvent souvent mal tourner pour eux.  



Les journalistes d’investigation produisent un travail, souvent long et complexe, d’enquête.  Ils épluchent les factures et appels téléphoniques des personnes qu’ils soupçonnent, s’infiltrent dans des entreprises aux affaires troubles, mettent sur écoute les personnes peu désireuses d’exprimer clairement leurs intentions. En se faufilant, enregistrant et fouillant, on les accuse de menacer et d’empiéter sur la vie privée de ceux qu’ils tentent de mettre en cause. Si pour certains ce sont simplement des personnes prêtes à tout pour le scoop, pour d’autres, ce sont plutôt « les chiens de garde de la démocratie ». En effet, ce sont eux qui ont la dure tâche de surveiller les membres les plus influents de nos sociétés, indépendamment des sphères politiques. 


En 1972, lorsque le local des Démocrates est cambriolé au cours de la campagne présidentielle américaine, les journalistes Carl Bernstein (à gauche sur l’image) et Bob Woodward (à droite) décident d’enquêter sur cet événement qui était passé jusque-là inaperçu. Ils découvrent deux ans plus tard que le président Richard Nixon en est en fait le responsable, ce qui entraîne sa démission. 


De même, en 2011, le journal Médiapart parvient à mettre la main sur des notes d’un consultant gouvernemental, et révèle la liaison entre le financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et le régime dictatorial libyen. Pratique illégale de financement de campagne, cette affaire a pu jouer dans l’échec de Sarkozy aux élections présidentielles de 2012. 


Ainsi, l’utilité des journalistes d’investigation dans la société n’est plus à prouver. Toutefois, ils se retrouvent bien souvent à devoir le faire... Arrêtés, perquisitionnés et poursuivis en justice, les exactions à l’encontre des journalistes inquiètent de plus en plus. 


On peut notamment citer l’exemple d’Ariane Lavrilleux. Cette journaliste révèle dans Disclose une collaboration de l’État français avec celui Égyptien, ayant provoqué la mort de plus d’une centaine de civils. A la sortie de son article, elle voit son domicile perquisitionné par la police et est elle-même placée en garde à vue. Nombreux journaux internationaux ainsi qu’Amnesty International ont condamné cet acte, s’inquiétant du droit de liberté d’expression en France.


La loi française se positionne pourtant plutôt en leur faveur. En plus de la forte affection à l’égard de la liberté de la presse acquise en 1881, les journalistes sont aussi protégés par la loi du 4 janvier 2010, qui garantit la protection du secret des sources. À la déclaration d’une importante affaire, les journalistes ne sont plus tenus de révéler l’identité de la personne qui leur a donné l’information ou la manière dont ils l’ont acquise. Néanmoins, ni cette loi, ni la liberté d’expression ne permettent d’assurer une immunité totale à la presse. Les journalistes, et plus encore les journalistes d’investigation, peuvent être poursuivis en justice pour plusieurs raisons.


La plus importante est sûrement le droit que possède la personne accusée mise à mal par un article d’assigner son auteur au tribunal. Les motifs sont variés : accusation de diffamation, de publication de fausses nouvelles, de faux et usage de faux… Les journalistes doivent alors prouver la véracité de leurs informations, et donc aller à l’encontre du secret des sources. 


De même, les procédures-baillons ou SLAPPS correspondent au fait de poursuivre en justice le journaliste afin d’ébranler son influence, abusant ainsi du droit initialement donné. Paralysé par la poursuite judiciaire, le journaliste perd à la fois son temps et son argent. Tout le succès de ce concept est que même si le tribunal ne condamne pas le journaliste, il n’en reste pas

moins impacté, tant professionnellement qu’économiquement.



De plus, d’autres facteurs sont à prendre en compte avant d’être considéré comme innocent. Le travail du journaliste demande une indépendance vis-à-vis de ce sur quoi et sur qui ils travaillent, ainsi qu’une volonté de travailler pour le bienfait de la société. Lorsqu’il dévoile une affaire compromettante sur la conduite de quelqu’un, le journaliste doit prouver « sa bonne-foi » afin de ne pas être poursuivi pour diffamation. L’exception de bonne-foi est légiférée selon quatre critères déterminants. Le premier est l’absence d’animosité personnelle. Un journaliste, bien que dépositaire d’informations compromettantes, ne peut les dévoiler au public s’il s’agit d’une vengeance, par exemple. Ensuite, le journaliste doit poursuivre un but légitime, dans le sens où ce qu’il révèle est utile à la société. Il doit aussi avoir fait un travail sérieux et rigoureux. Pour le vérifier, les sources peuvent être vérifiées et tout doute invalide la procédure. Enfin, le journaliste doit avoir une expression mesurée et prudente : un jugement de valeur lors de la déclaration de l’information peut le conduire à « perdre sa bonne-foi ». 


Une seule de ces conditions manquée et le journaliste peut risquer jusqu’à 45 000 euros d’amende. C’est ce qui est arrivé en 2011, lorsqu’un journaliste a déclaré que « l’élu n’a pas été digne de la République », considéré par la justice comme un jugement personnel. Alors qu’il réunissait tous les autres critères, l’exception de bonne foi n’a pu être établie, entraînant sa condamnation. 


Le journaliste peut aussi avoir recours pour se défendre à l’exception de vérité, outil permettant de clamer son innocence en démontrant que ce qu’il dit est vrai. Dans ce cas, les sources et les témoins sont appelés (contrairement à ce qui est autorisé par la loi de 2010), interrogés, et rejetés si les faits sont antérieurs à 10 ans ou relèvent de la vie privée de la personne. En pratique, cet outil est presque inefficace pour prouver l’innocence du journaliste.


Ainsi, les journaux d’investigation risquent très fréquemment la condamnation pénale. Obligés de payer des indemnisations à ceux qu’ils accusent et perquisitionnés dans leur locaux, la liberté d’expression semble de plus en plus menacée. En 2022, le tribunal de Nanterre a condamné l’État français après que celui-ci ait perquisitionné les bureaux de Médiapart. Le juge a condamné cet acte, le jugeant : « ni nécessaire dans une société démocratique, ni proportionné à l’objectif poursuivi ». Cela montre une volonté de protéger l’indépendance journalistique, face à des organisations politiques de plus en plus immiscées dans ses affaire.



Anna Raqbi

Comments


bottom of page