Liberté de la presse et Union Européenne : comment sont protégés nos médias ?
- Alice Fay
- 3 mars 2024
- 5 min de lecture
Chaque année depuis 2002, l’ONG de défense de la liberté de la presse et des droits des journalistes Reporters Sans Frontières (RSF) publie un rapport sur l’état de la liberté de la presse dans le monde. Cette étude permet d’observer l’évolution des droits des médias et de la liberté d’expression en général à travers les années, en hiérarchisant les territoires selon des critères communs comme le cadre légal, le contexte économique, politique ou encore la sécurité. Les pays européens occupent une place particulière dans le classement de 2023, puisque 8 des 10 pays arrivés en tête sont membres de l’Union Européenne.
Ainsi, l’Irlande (2e), le Danemark (3e), la Suède (4e), la Finlande (5e), les Pays-Bas (6e), la Lituanie (7e), l’Estonie (8e) et le Portugal (9e) ont été reconnus comme des pays où « les conditions d’exercice du journalisme sont les plus faciles », comme indiqué par le rapport de RSF. Mais tous les pays européens ne sont pas bons élèves au regard de la liberté de la presse. Contrairement à leurs homologues, la Roumanie (53e), la Pologne (57e), la Bulgarie (71e), la Hongrie (72e) et Malte (84e) occupent des places bien plus basses dans le classement, ce qui leur vaut la qualification de « pays où la situation de la presse est problématique ». Mais c’est en Grèce où la presse et les journalistes seraient les plus menacés. Le pays termine en 104e place du classement en raison du Watergate grec, l’affaire d’espionnage de journalistes et d’opposants politiques par les services de renseignement grecs (EYP) révélée au grand jour en 2022.
Une liberté de la presse menacée ?
Malgré des résultats globalement positifs, Reporters Sans Frontières constate une détérioration inquiétante de l’état de la liberté de la presse à l’échelle européenne. L’ONG alerte sur différents dangers qui subsistent toujours et sur lesquels les institutions européennes doivent aujourd’hui se pencher. Car même si le droit des médias est en théorie une compétence nationale des Etats membres, les institutions européennes entendent tout de même légiférer sur les droits de la presse car ceux-ci sont une base essentielle au fonctionnement de l’UE.
“Media companies cannot be treated as just another business. Their independence is essential. Europe needs a law that safeguards this independence” (Ursula Von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union, le 15 septembre 2021)
La présidente de la Commission européenne n’aura d’ailleurs pas attendu longtemps avant de mettre en place une loi dans ce but de sauvegarde de l’indépendance des médias européens. Ainsi, à peine un an après avoir prononcé ces mots, le 16 septembre 2022, la Vice-Présidente de la Commission Vera Jourova et le Commissaire chargé du Marché intérieur ont présenté un projet d’acte sur la liberté des médias européens : l’European Media Freedom Act (EMFA), ou Media Freedom Act. Même si encore en cours de débat au sein des institutions bruxelloises, il s’agirait de la plus grande avancée en matière de droit européen sur la protection de la presse mise en place par l’UE depuis sa création. Ce règlement ambitieux aurait pour vocation de garantir un climat de diffusion de l’information sain en Europe, basé sur le pluralisme et l’indépendance. Mais une fois entré en vigueur, l’EMFA devra répondre à un certain nombre d’enjeux.
Des pays et des médias
Le premier problème et le plus évident au regard du rapport de Reporters Sans Frontières sont les disparités qui existent dans l’UE sur l’état de la liberté de la presse. Il suffit de regarder les chiffres pour se rendre compte que chaque pays se trouve dans une situation très différente. Comment peut-on alors légiférer avec un unique projet de règlement dans une Union où chaque pays ne part pas du même point ? Pour Bruxelles, le Media Freedom Act servira de base commune pour assurer des libertés fondamentales partout en Europe et lutter contre des « tendances de plus en plus inquiétantes » qui touchent le milieu de la presse, mais n’exclut pas des actions complémentaires dans les zones identifiées comme présentant un risque pour la liberté des médias. Ainsi, des pays comme la Pologne, la Grèce ou encore la Hongrie pourraient bénéficier d’une attention accrue en complément des mesures comprises dans le Media Freedom Act.
Des médias libres et nombreux
La liberté et le pluralisme des médias font partie des quatre grands piliers de l’État de droit qui doivent être garantis dans tous les pays membres de l’UE selon la Commission Européenne. Les politiques de liberté de la presse européennes visent donc à offrir aux médias un cadre garantissant une pluralité et une liberté. Même s’il est très différent des autres marchés, le monde des médias reste aujourd’hui très affecté par l’économie. Et le levier financier est souvent utilisé pour contraindre les médias dans l’exercice de leur fonction. Mais garantir la liberté, c’est également s’assurer qu’il n’y ait pas d’ingérence des autres sphères de la vie publique au sein des médias. Le quatrième pouvoir entretient en effet souvent des liens plus ou moins étroits avec le un exercice juste et libre de la profession. Ce problème se serait d’ailleurs accentué selon Reporters Sans Frontières, qui relève que les pays européens « peinent parfois à trouver l’équilibre entre sécurité et liberté », particulièrement depuis le début de la guerre en Ukraine. Alors, en plus de promouvoir la transparence et la concurrence sur le marché des médias en Europe dans son futur Media Freedom Act, l’Union Européenne joue sur cette question économique en mettant en place de nombreux fonds d’aides à la profession de journaliste. Ainsi, un budget de deux millions d’euros est dédié au soutien de l’innovation dans les médias pour booster le pluralisme, et un fond d’urgence de 1,8 million d’euros sert quant à lui à soutenir les journalistes d’investigation et ainsi protéger la liberté de la presse.
Alerte Fake News !
Et l’Union Européenne ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Après l’implémentation à venir du Media Freedom Act, le Parlement européen se lance à son tour dans la défense de la liberté de la presse, et notamment sur les questions de la désinformation, centrale aujourd’hui. Cette crise de la désinformation serait en partie liée au « développement spectaculaire de l’Intelligence artificielle (IA) générative [qui] bouleverse l’univers déjà fragilisé des médias ». L’IA serait utilisée pour « fragiliser celles et ceux qui incarnent le journalisme de qualité, en même temps qu’elles affaiblissent le journalisme lui-même ». Les eurodéputés ont en ce sens voté une série de propositions intransigeantes sur la question de la diffusion des fake news, notamment un délai de 24h accordé aux médias pour retirer une information publiée sur les réseaux sociaux qui serait signalée comme fausse.
L’Union Européenne se penche aujourd’hui avec beaucoup de sérieux sur les questions de liberté d’expression et de liberté de la presse, considérées aujourd’hui en déclin par les experts. Si le chemin à parcourir pour protéger la presse est semé d’embûches, c’est tout de même un combat que l’organisation internationale semble être prête à mener de front.
Alice Fay
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