Roman Polanski a fui l’Amérique en 1978 après avoir plaidé coupable de viol. Woody Allen a été accusé par sa fille de l’avoir agressée quand elle était enfant; il a nié avoir commis des actes répréhensibles. Les deux hommes font face à de nouvelles récriminations alors que le mouvement #MeToo gagne les foules. Pourtant en France les avis sont aussi divisés que l’artiste de son art.
Les critiques étaient minoritaires. Si le film de Roman Polanski, qui raconte l’erreur judiciaire historique connue sous le nom d’affaire Dreyfus n'apparaîtra pas sur les grands marchés du film aux États-Unis et en Grande-Bretagne, il a dominé le box-office français la semaine dernière. Il est distribué dans toute l’Europe, la Russie et la Chine. Il plaît au public. Ça, c'est l'Artiste.
Les critiques fusent cependant à propos des onze accusations de viol, souvent accompagnées de détails violents. Onze femmes âgées de 9 à 29 ans ont pointé du doigt le réalisateur, parfois longtemps après les actes. Roman Polanski nie les faits, souligne le retard et fuit les regards qui deviennent lourds. Ça, c'est l'Homme.
L'Hexagone évolue dans un roman de Robert Louis Stevenson. La science-fiction n'est plus fictive, l'horreur est présente lorsque la population crie à la séparation de l'homme et de l'artiste. Elle souhaite continuer de regarder des films, lire des livres, profiter de l'Artiste même si l'individu est pourri. La célébrité protège, cette grande couverture de survie garde l'Homme bien au chaud. Blanche Gardin en avait donné le parfait exemple car "on ne dit pas par exemple d'un boulanger : Oui, d'accord il viole un peu des gosses (...), mais bon il fait une baguette extraordinaire !". Si le pain d'à côté était souillé, iriez-vous l'acheter ? Ou afficheriez-vous une moue dégoutée en passant devant l'enseigne le matin ? Aucune raison de trouver des excuses alors que l'acte est mauvais pour certaines personnes. Il n'y a en vérité pas de place pour deux sur la planche. Certains coulent, d'autres voient leurs créations défendues et même soutenues par le Premier ministre.
M. Polanski n'est pas seul parmi les naufragés sauvés, Woody Allen a également reçu le totem d’immunité. Les deux réalisateurs se sont réorientés vers l’Europe ces dernières années car l’attitude sur le continent diffère de celle de nos voisins Outre-Atlantique.
En effet, lorsque le scandale de Harvey Weinstein a éclaté il y a deux ans, la nouvelle a été accueillie en France avec un haussement d’épaules. L’icône de l’écran Catherine Deneuve a même dénoncé le mouvement #MeToo comme créant un environnement «totalitaire », et qui imposerait une censure de la culture. Mais les accusations des actrices Adèle Haenel et Valentine Monnier ce mois-ci ont peut-être finalement changé la donne dans l’industrie cinématographique locale.
Suite à la publication d’une enquête par le site d’information Mediapart dans laquelle Adèle Haenel a accusé le réalisateur Christophe Ruggia de l’avoir harcelée sexuellement pendant des années à partir de ses 12 ans, des stars françaises telles que Marion Cotillard, Isabelle Adjani et Jean Dujardin, ainsi que des institutions comme Unifrance et la Société des Réalisateurs SRF, se sont prononcées en faveur d'Haenel. Dans une plus large mesure, ils se positionnent en faveur de toutes les victimes d’abus sexuels présumés dans l’industrie cinématographique. Ruggia a été rapidement expulsé de la SRF et fait actuellement l’objet d’une enquête du procureur de Paris.
Quatre jours plus tard, Valentine Monnier a déclaré que Roman Polanski l’avait violée en 1975 alors qu’elle n’avait que 18 ans. Dans une chaîne inattendue d’événements, la promotion du nouveau film de Polanski a été abandonnée en France, tandis que son acteur principal a annulé les interviews et que le réalisateur risque d’être expulsé de la SRF ainsi que de la Société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs (ARP).
Dans un pays qui s’est vanté de faire une distinction entre la vie privée et professionnelle d’un artiste, le changement d’attitude de la SRF et de l’ARP semble marquer le début d’une nouvelle ère.
Estelle Kammerer
Comments