Septembre. La rentrée des classes. Les enfants ont retrouvé le chemin de l’école, les parents, celui de leur bureau, et les politiques, celui des plateaux TV. Ces derniers ont même paru particulièrement pressés de s’afficher sur nos écrans, car avant même que les élèves n’aient eu le temps de retrouver leurs crayons, les polémiques ont défrayé la chronique. Abayas, manque de professeurs, programmes scolaires, enseignement lacunaire, autorité, perte de souveraineté…
Le tumulte des derniers jours a brossé nombres de sujets. Pourtant, il en est un qui, jamais, n’a été même mentionné. Ce sujet, c’est celui de l’école en Guyane. Évident.
2021. Il y a donc deux ans. Un rapport de l’Unicef et du défenseur des droits paraît, et le constat est accablant. Inégalités dans l’accès à l’éducation, inadaptation des politiques éducatives, manque d’infrastructures pédagogiques, déscolarisation massive… Si les rédacteurs du rapport se sont voulus non exhaustifs dans leur énumération des problèmes rencontrés sur le département, leur lecteur ne s’en voit pas moins écrasé par la masse des lacunes du système scolaire guyanais.
Faisons un résumé rapide de ce rapport. Divisé en trois grandes parties, celui-ci braque en premier lieu les inégalités géographiques entre les élèves en matière d’éducation. Causes de très importantes variations dans les conditions et dans la qualité de l’accès à l’école, aussi bien à l’échelle territoriale que nationale, cette donnée permet d’ores et déjà de poser le contexte. Second moment du rapport : à travers quatre enquêtes de terrain effectuées dans les villes de Matoury, de Saint-Laurent-du-Maroni, de Grand Santi et de Camopi, l’inadéquation du modèle éducatif métropolitain avec la réalité guyanaise, comme les fortes inégalités qui existent en outre au niveau infra territorial sont mises en lumière, ouvrant un terrain de réflexion que les rédacteurs de l’Unicef se sont efforcés de labourer à l’aide de différentes recommandations. Celles-ci ont-elles été prises en compte ? Etant donné que les défis pointés par le rapport sont toujours aussi présents en 2023, il nous est permis d’en douter.
Reprenons ce rapport en détail. La méthode pourra paraître scolaire, mais en ces temps de rentrée des classes, ce n’est pas si incohérent. Parez donc crayons et cahiers.
Grand un : les enjeux de l’accès à l’école. Le peu de moyens des municipalités guyanaises pour assurer les constructions d’infrastructures pédagogiques, tout comme les contraintes physiques posées par la nature même de l’environnement guyanais rendent bien trop souvent difficile la scolarisation des enfants, ce qui augmente le nombre de jeunes non-inscrits. La géographie même de la Guyane constitue un obstacle à la scolarisation, c’est dire…
A ce déterminisme physique s’ajoute ensuite le casse-tête administratif que représentent les procédures d’inscriptions scolaires, certains jeunes se retrouvant enregistrés dans des communes très éloignées de leur domicile faute de place ou d’établissements pour les accueillir. Si on additionne à cela le fait que certains parents ne parlent pas français, on comprend que beaucoup abandonnent l’idée d’inscrire leurs enfants à l’école.
Mais pour les courageux qui auront gravi les montagnes de paperasse à remplir pour voir le nom de leur rejeton sur une liste scolaire, d’autres défis sont encore à venir. D’abord celui du transport scolaire. Certaines zones de Guyane sont actuellement uniquement accessibles par voies fluviales. Garantir un acheminement quotidien des enfants jusqu’à l’école se révèle donc souvent impossible, faute de temps et de moyens. De plus, l’absence d’infrastructures de restauration dans certains établissements tend à complexifier les choses : si assurer le transport de son enfant matin et soir vers l’école pose déjà problème, il paraît peu probable que des parents acceptent de répéter deux fois par jour ce parcours parce que leur jeune doit rentrer à la maison le midi pour se nourrir.
Ces différents paramètres pris en compte, on s’explique plus facilement pourquoi nombre d’enfants mettent un terme à leur cursus après la troisième. Mais le tableau n’est pas encore complet, car s’ajoutent aux difficultés précédentes — lesquelles ne sont pas causées par l'école elle-même mais par le contexte social et géographique des populations — des manques de formation, de professionnels qualifiés, de perspectives offertes, ou encore l’éloignement familial forcé.
Par ailleurs, entre les familles et le milieu éducatif, il existe un manque de confiance, notamment en raison de la rotation fréquente des professeurs, qui ne peuvent dès lors tisser de réelles relations de confiance avec les familles. Cette relation de confiance est d’autant plus difficile à mettre en place que la diversité culturelle présente en Guyane, à laquelle les professeurs ne sont pas préparés, complexifie les interactions. En somme, parents et professionnels éducatifs ne se comprennent pas toujours, plaçant ainsi l’enfant dans un entre-deux qui le déchire. Cette fracture est d’ailleurs renforcée par la désinsertion sociale qu’entraîne la scolarisation, les élèves se retrouvant trop souvent coupés de leur environnement familial dans leur parcours scolaire, du fait d’une obligation de se déplacer sur le territoire pour accéder à l’enseignement, du peu de connexion entre les programmes enseignés et la réalité sociale guyanaise…
Accès à l’école, qualité de l’enseignement, déconnexion, déracinement… La Guyane est l’un des territoires dont la population se rajeunit le plus en France. Pourtant, ses moyens d’intégration sociale de ses jeunes sont faibles. À l’heure où nous débattons donc des lacunes du système éducatif français, il ne serait pas impertinent de se pencher sur le cas de ce département qui, malgré son éloignement géographique, n’en appartient pas moins à la France.
Eva Montford
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