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Manon Dubernard Fernandez

L’éco anxiété : amie ou ennemie ?

Catastrophes naturelles. Limites planétaires. Sixième extinction de masse des animaux. L’eau douce s’amenuise et devient une ressource rare. Les dérèglements climatiques se multiplient et s’intensifient. Sur les hauteurs des collines des Souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol, les cigales ne chantent plus. Les grillons non plus, d’ailleurs. Disparition des chants de la nature, un nouvel été aphone. Une biodiversité en souffrance. Dans les médias, sur les réseaux sociaux, les nouvelles vont vite. Et elles filent le bourdon. Mais une émotion est commune aux multiples constats en deux clics partagés : l’angoisse accablante d’un monde en perdition. Sommes-nous tous devenus éco-anxieux ?



Catastrophes naturelles. Limites planétaires. Sixième extinction de masse des animaux. L’eau douce s’amenuise et devient une ressource rare. Les dérèglements climatiques se multiplient et s’intensifient. Sur les hauteurs des collines des Souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol, les cigales ne chantent plus. Les grillons non plus, d’ailleurs. Disparition des chants de la nature, un nouvel été aphone. Une biodiversité en souffrance. Dans les médias, sur les réseaux sociaux, les nouvelles vont vite. Et elles filent le bourdon. Mais une émotion est commune aux multiples constats en deux clics partagés : l’angoisse accablante d’un monde en perdition. Sommes-nous tous devenus éco-anxieux ?


L’éco-anxiété, cet état d’inquiétude, de peur, d’impuissance, voire de malaise émotionnel lié aux préoccupations environnementales et aux changements climatiques est constitutif de notre siècle des catastrophes. Véritable pathologie contemporaine, l’éco-anxiété est devenue de plus en plus présente à mesure que les questions environnementales ont gagné en importance dans le discours public, et que les individus ont pris conscience des défis écologiques. Dans un contexte Baumanien d’hypermodernité « liquide », le divorce entre pouvoir et politique devient une normalité et l’incapacité des gouvernements à prendre des mesures concrètes pour lutter contre l’urgence climatique déclenche l’éco-anxiété chez les jeunes. Nous en sommes toujours à l’étape du diagnostic et de la diffusion de la prise de conscience, sans sauter le pas des mesures efficaces.



Résultat : 3/4 des jeunes de 16 à 25 ans sont éco anxieux, révélait une étude du Lancet fin 2021. Les jeunes de demain seront-ils tous… dépressifs ? Pour un éco-anxieux, les tâches qui l’attendent semblent insurmontables : « Comment empêcher la fonte des glaces ? Que puis-je faire pour sauver les Inuits ? Est-ce que je dois convaincre tout le monde de devenir végan ? ». L’angoisse semble désormais caractériser l’individu moderne, contraint de vivre dans la menace constante et toujours plus forte de tempêtes dévastatrices, de vagues de chaleur extrêmes, de mégafeux dévorants et d’inondations féroces… C’est dans ce contexte de bouleversement de notre environnement quotidien que le concept de solastalgie trouve un écho tout particulier. Définie par le philosophe Glenn Albrecht, la solastalgie désigne un sentiment de détresse et d’angoisse ressenti face aux transformations négatives subies par l’environnement. Avoir la solastalgie, c’est un peu avoir le "mal du pays". Mais là où le "mal du pays" est associé à un lieu que l'on quitte, avec la solastalgie, c'est le lieu lui-même qui semble s'éloigner de nous. La solastalgie exprime cette prise de conscience profonde des déséquilibres mondiaux et de leurs répercussions sur les sociétés humaines, nos systèmes démocratiques, notre bien-être, ainsi que notre santé individuelle et collective. Là où la nostalgie naît d’un regret du passé, la solastalgie semble être son équivalent pour le futur. C’est le deuil d’un paysage en disparition que certains se disent « trop vieux pour espérer revoir un jour ». Le constat n’est pas surprenant. En effet, comment l'individu moderne pourrait-il vivre sereinement dans un monde si abîmé, dans un monde en péril ?


L’ère des catastrophes offre un contexte inédit. Il faut faire quelque chose, agir de toute urgence. Mais terrassés par le stress, nous sommes tentés d’accepter notre sort et de faire le deuil d'une certaine vision du futur et des espérances pour l’avenir. C’est ainsi que nous brûlons de plus en plus de pétrole, que nous achetons des SUV plutôt que des petites voitures, que nous avons hâte de pouvoir reprendre l’avion… Nous ne voulons faire aucun sacrifice, alors même que nous quantifions et craignons la menace. Cependant, ce deuil écologique succède à une peur passive, alors même qu’elle pourrait donner lieu à une forme de renaissance. Alors, comment doit se comporter l’homme, dès lors qu’il ouvre la boîte de Pandore de la modernité et entre dans l’ère des catastrophes ?



Bien que la solastalgie, l’éco-anxiété ou plus vulgairement la peur puissent conduire à l’enterrement de certaines perspectives, aspirations et désirs, elles ont également le potentiel de nous inciter à réinventer nos imaginaires, à renouveler nos aspirations, à réévaluer nos désirs et à nourrir de nouvelles espérances. Et si cette angoisse de la fin du monde était en réalité salutaire ? Et si la peur pouvait changer le monde ? Et si ce sentiment a priori néfaste était en réalité la sagesse du 21ème siècle ?


Quand Nietzsche affirme que « l'oreille est l'organe de la peur » il fait entendre que la peur est plus-que protectrice : elle est salvatrice. Après Hiroshima et face à la perspective d’une catastrophe écologique, des penseurs comme Hans Jonas in Le principe responsabilité - ou Günther Anders in Hiroshima est partout - ont promu la peur comme seul moyen de réagir face aux menaces futures. La peur est le signe salutaire de lucidité. Car, pour avoir peur, encore faut-il être conscient de la menace. Loin d’être méprisable, cette émotion enfouie en nous en état perpétuel de latence est notre meilleure assurance-vie. Elle pourrait nous permettre d’agir contre notre propre paralysie. De nous réveiller de notre léthargie environnementale. De revenir à la vie.  


Nous engager pour dépasser l’impuissance écologique : voilà une bien vertueuse mission. Cependant, ne vous y méprenez pas : il ne s’agit pas là de devenir des pessimistes-actifs et d’entrer dans un séparatisme social en se mettant en marge de la société, et partir vivre dans la forêt à la « Captain Fantastic ». Il faut pouvoir transposer notre action dans le champ social, de manière individuelle mais aussi collective. Pour remonter la pente, il faut accepter notre peur, la dompter, la rationaliser et la rendre salutaire. Il faut utiliser sa peur au moyen de la précaution.


Il est fréquent de catégoriser les collapsologues, ceux qui sont obsédés par l'idée de l'effondrement imminent, comme des « éternels prophètes de malheur » avec leurs prédictions apocalyptiques. Comme il est de coutume, le porteur de mauvaises nouvelles est bien souvent rejeté. Cependant, nous aurions tort de ne pas tendre l’oreille. Dans Une autre fin du monde est possible, Pablo Servigne démontre de manière convaincante qu’au-delà de l'Apocalypse, il est possible de vivre un « happy collapse ». Choisissons nous d’être actif, ou passif ? Optimiste, ou pessimiste ? La peur, loin d'être un fardeau, doit être vue comme catalysatrice de changement. La peur du lendemain a permis à notre espèce de survivre depuis deux millions d’années. Jamais n’aura-t-elle été aussi nécessaire. Cependant, quand nous serons face à la catastrophe, il ne s’agira plus de peur, mais d’une véritable panique. C’est précisément pour éviter cette panique qu’il faut réhabiliter la peur. Une peur qui ne paralysera pas. Il s’agira d’une peur intellectuelle, révélatrice, qui consiste à anticiper sur l’angoisse que nous éprouverons certainement lorsque la catastrophe se produira. Il s’agit de stimuler notre imagination de façon à nous représenter ce que nous sommes incapables d’éprouver aujourd’hui parce que c’est beaucoup trop abstrait. Au service de cela viennent les vertus d’une heuristique de la peur et d’un catastrophisme éclairé. Avoir peur de ce qui peut advenir apparaît comme une nécessité bienfaisante : si nous voulons que le futur que nous désirons soit notre avenir, il convient d'être dans la prudence. Placer l'avenir sous le signe de la peur est le meilleur moyen pour remédier aux risques qui pèsent sur notre monde. Affronter notre peur, appréhender la catastrophe comme imminente, la garder en conscience et agir pour qu’elle ne se produise pas. Craindre le futur pour le changer. Mettre l’éco-anxiété de notre côté. Voilà la clé. Car si la peur peut sauver le monde, l’Apocalypse aussi : ce qui a des chances de nous sauver et cela même qui nous menace. C’est ce que J. Dupuy explique lorsqu’il affirme qu’ « il faut frôler la catastrophe pour se tenir à carreau ».


Prendre en main notre destin écologique, agir de manière collective, réparer les liens brisés entre l'humanité et la nature : voilà notre mission. Transformons la peur en boussole, la solastalgie en motivation, pour redéfinir notre relation au monde. Si la peur donne des ailes, alors, on s’envole quand ?



Manon Dubernard Fernandez


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