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Et soudain le Soudan…

Jeudi 16 janvier 2020, Marc Lavergne, géopolitologue spécialiste du Soudan et directeur de recherche au CNRS, a répondu à l’invitation de l’association étudiante Espomena et nous a fait l’honneur de donner une conférence à ESPOL sur la révolution soudanaise. Retour sur la libération d’un peuple et la chute d’un chef d’État faisant face à de multiples accusations.

« This revolution changed my perspective completely on Sudan, on our society, on our community, because I never thought in my life that we, the youth, were capable of so much unity, so much togetherness, so much creativity. It was just amazing, all together » déclarait une jeune étudiante soudanaise dans la vidéo d’introduction de la conférence. Cette révolution, qui a débuté en décembre 2018, s’est traduite par un mouvement général de soulèvement dans les villes du Soudan, une protestation contre un régime militaire trop autoritaire et une vie devenue bien trop chère. En apparence, pas vraiment de quoi se réjouir. Pourtant, ces manifestations ont permis aux Soudanais de se rassembler et d’éprouver pleinement ce sentiment d’appartenance à une même nation, en dépit de la forte diversité ethnique, culturelle et religieuse qui caractérise le pays. Mais il ne faut pas se méprendre, tout n’a pas été tout rose durant les huit mois de révolte qui ont précédé l’émission de la déclaration constitutionnelle du 17 août 2019.


Des manifestations violemment réprimées


C’est une jeunesse déterminée et courageuse qui descend dans la rue en ce mois de décembre 2018. Alors même que l’armée menace les manifestants, rien ne peut arrêter ces étudiants avides de renouveau et de paix dans un pays déchiré par les conflits armés et une situation économique déplorable. L’Association des professionnels soudanais, syndicat clandestin composé, entre autres, d’avocats, de médecins et d’architectes, structure ce mouvement de contestation. Elle constitue une élite respectée qui fait tourner le pays et peut obtenir un soutien précieux des gouvernements Occidentaux et du Golfe.

En avril 2019, le président Omar el-Béchir est renversé par l’armée et un Conseil Militaire de Transition est mis en place. S’il est possible de considérer cette éviction comme une avancée importante pour le mouvement, rien n’est encore gagné. Le 3 juin 2019, à Khartoum, capitale du Soudan, des manifestants entourant le quartier général de l’armée par une vaste étendue de tentes, sont pris pour cible par des forces paramilitaires venant des marges du pays ainsi que de certains États voisins. On estime que le nombre de victimes dépasse les 200. Cet événement marque profondément le mouvement, à tel point que beaucoup pensent la révolution terminée. Cependant, la ténacité des Soudanais leur permet finalement d’obtenir gain de cause. Ainsi, le 5 juillet, les négociations entre les Forces de la Liberté et du Changement et les forces armées aboutissent à un accord de principe pour partager le pouvoir durant une période de transition de trois ans et trois mois. Le 17 août est signée une déclaration constitutionnelle prévoyant la distribution de la majorité des postes de ministres à des civils, exceptés les domaines de la Défense et de l’Intérieur qui demeurent sous le commandement de l’armée. Un Conseil de souveraineté, dont la direction est divisée entre civils et militaires, est également mis en place sous la présidence est Abdel Fattah.

De tels changements dans la politique d’un pays ne sont pas anodins. Alors, quels en ont été les éléments déclencheurs ?


Les origines d’une fracture


En 1989, le Général Omar el-Béchir s’empare du pouvoir par la force et met en place un « programme de modernisation de l’Islam » ainsi que d’« islamisation de la modernité », selon les termes de Marc Lavergne. Ce régime, dont le commandement est divisé entre militaires et islamistes, perdure durant trente longues années, trente années marquées par la violence, la guerre et la faillite du pays. En juillet 2011, le Soudan du Sud proclame son indépendance, aboutissement de guerres civiles longues de près d’un demi-siècle. Mais ce n’est pas de bon augure pour le nord qui se sépare, par la même, de ses ressources pétrolières, hydrauliques et de ses terres fertiles. Par conséquent, les pénuries auxquelles le pays doit faire face le conduisent à une forte inflation, provoquant le déclin économique du Soudan et devenant ainsi la cause directe du soulèvement de décembre 2018. Mais les déboires du Soudan ne s’arrêtent pas là. En 2003 débute la guerre du Darfour dont les causes sont nombreuses : tensions entre différentes ethnies, explosion démographique menant à une grande pauvreté, découverte de ressources pétrolières ou encore négligence du gouvernement ; toutes les conditions sont réunies pour faire de cet affrontement un véritable désastre humain. Pour réprimer les insurrections anti-gouvernementales, le régime prend des mesures radicales : bombardements et milices brutales se relaient pour mettre fin à la menace, provoquant la mort de plus de 300 000 personnes et le déplacement de plus de 2 millions de Soudanais. Omar el-Béchir est accusé de crimes contre l’humanité et crimes de guerres par la Cour Pénale Internationale.

Aujourd’hui, un tiers des habitants du Darfour vit encore dans des camps de réfugiés, sans aucune aide humanitaire, celle-ci ayant été chassée par le régime.

Ces différentes problématiques, auxquelles s’ajoutent de multiples conflits sur l’ensemble du territoire, ont conduit aux manifestations de décembre 2018, qui elles-mêmes ont abouti à la formation d’un nouveau régime.


Et maintenant ?


Aujourd’hui, il est un peu tôt pour se prononcer sur les (in)succès du nouveau gouvernement. Si les militaires craignent de perdre tous les avantages dont ils ont joui durant trente ans, les civils sont pleins d’espoir, et pour cause ! En août 2019, un premier ministre, Abdallah Hamdok, est désigné. Sa mission consiste à rétablir les liens entre le pays et la communauté internationale. En septembre, il constitue son gouvernement et nomme quatre femmes comme ministres. L’accent est mis sur les enjeux d’égalité femmes-hommes et les questions de religion, problématiques nécessaires pour obtenir le soutien de l’Occident. Cette stratégie s’avère payante, puisque le commissaire des Affaires Étrangères de l’Europe a déjà fait du Soudan la priorité de son mandat, et Emmanuel Macron a effacé la dette de 5 milliards de dollars due à la France.

Si le chemin est encore long pour guérir les gangrènes du pays, la situation semble évoluer dans la bonne direction. Espérons que les blessures du passé ne seront bientôt que de mauvais souvenirs.

Candice Schmitz

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