Le 3 octobre 2021, Bernard Tapie s’est éteint. Au Canari, nous avons décidé de lui consacrer un article résumant sa vie en trois parties : sa carrière d’homme d’affaire, sa proximité avec le monde du sport et enfin sa carrière singulière en politique. Il était un homme fascinant, sa soif de succès, son goût pour l’aventure et ses nombreuses affaires judiciaires le rendent unique dans le paysage médiatique français.
Sa vie fut loin d’être un long fleuve tranquille, et, sa première grande aventure commença des suites d’un accident au volant d’une Lotus lors de sa courte, et peut-être un peu romancée, carrière en Formule 3. Après cet évènement, Bernard Tapie veut vite rebondir et lance le début de sa longue, brillante et controversée carrière dans le monde des affaires. Ses débuts sont loin d’être prometteurs : en effet, ses premières entreprises coulent vite, soit pour des raisons de faillites soit pour, déjà, des problèmes judiciaires.
On pourrait citer notamment cette histoire assez extraordinaire où Bernard Tapie fait croire à Jean-Bedel Bokassa, empereur de Centrafrique, tout juste renversé par les forces françaises, que l’état français va saisir ses châteaux. Le jeune homme d’affaire à l’époque lui propose alors de les lui acheter. Bokassa accepte, et Bernard Tapie acquiert donc sept propriétés, dont quatre châteaux pour 10% de leur valeur. Il les revendra toutes en voulant reverser les bénéfices à l’Unicef (selon lui). L’homme politique africain portera plainte : la justice Centrafricaine et française lui donnera raison, en condamnant le français à rendre les biens et à verser des dommages et intérêts. Malgré tout, Tapie vient de faire parler de lui jusqu’en Amérique, où il fait la Une du New York Times.
Après cette histoire unique, Bernard Tapie se spécialise dans le rachat d’entreprises en difficulté, et le moins que l’on puisse dire est que cela marche. Plusieurs de ses rachats sont des grandes réussites comme Terraillon, acheté 1 franc et revendu 125 millions de francs cinq ans plus tard. La société Look, achetée elle aussi 1 franc et revendue 260 millions de francs, ou encore Wonder acheté 1 franc, et, comme vous pouvez l’imaginer, revendue 470 millions de francs, cette fois ci quatre ans plus tard.
Crédit Photo : Peter Turnley
L’homme d’affaires montant était aussi connu pour tout ce qu’il a apporté dans le milieu du sport. Il commença dans le domaine du cyclisme, en constituant une équipe autour de Bernard Hinault, l’un des meilleurs cyclistes français de l’histoire. Hinault y remporta son troisième Giro (Tour d’Italie) et surtout son cinquième Tour de France.
Tapie décida ensuite de se lancer dans une aventure maritime. En effet, à bord de son bateau, Le Phocéa, il réalise le record de la traversée de l’Atlantique Nord en monocoque avec équipage. Il était sur le bateau en tant qu’armateur et fut donc codétenteur d’un record du monde.
En 1986, il démarre son épopée footballistique en rachetant un club historique du championnat français pour 1 franc symbolique : l’Olympique de Marseille. Durant l’ère Tapie, l’OM connait la période la plus faste de son histoire avec une réelle razzia de trophées : 4 titres de champion de France consécutifs de 1989 à 1992, une coupe de France en 1989 et surtout la seule Ligue des Champions française en 1993/ Malheureusement, l’aura de Tapie fut entachée par une affaire de corruption en 1993, contre l’équipe nordiste de Valenciennes.
En 1990, le « Boss » va regrouper ses deux passions en faisant l’acquisition de la marque allemande spécialisée dans l’équipement de sport Adidas, au bord de la faillite à l’époque. Il va moderniser l’image de l’enseigne et au bout de 3 ans, va réussir son projet en rendant Adidas rentable à nouveau. Bernard Tapie était donc polyvalent dans le domaine sportif.
S’il faut retenir quelque chose de la carrière politique de Bernard Tapie, ce sont surtout ses coups d’éclats et ses retraites. Lorsqu’il se lance en politique, il n’est pas du tout vu comme un homme politique en tant que tel. C’est avant tout un flambeur, un homme d’affaires qui inspire la réussite. Sa carrière politique fut ainsi brève et orientée aussi bien à gauche qu’à droite.
Dans les années 1980, il rencontre d’abord François Mitterrand, qui lui mettra le pied à l’étrier. C’est ainsi qu’il se présente aux élections législatives de 1989 de la 6ème circonscription des Bouches-du-Rhône, sous l’étiquette « Majorité présidentielle », dans un département historiquement à droite. Battu mais pas vaincu, il obtient le poste à la suite de l’annulation de l’élection en novembre 1989.
Réputé pour ses coups de presse médiatiques, il participera en septembre 1989 à un débat télévisé face à Jean-Marie Le Pen sur le thème de l’immigration. Ce débat devient culte tant il a des allures de combat de boxe.
Nommé ministre de la Ville en avril 1992, il doit démissionner dans la foulée à la suite de sa mise en examen dans l’affaire Toshiba. À la suite d’un non-lieu, il réintègre le gouvernement pour le requitter seulement quelques mois plus tard. Il gardera néanmoins son siège de député jusqu’en septembre 1996. C’est en cette année qu’il fait le résumé de sa carrière politique : « C’est mon engagement politique qui a entrainé ma perte ».
Considéré comme le «poulain de Mitterrand», il décide finalement de soutenir Nicolas Sarkozy face à Ségolène Royal en 2007 puis de le soutenir à nouveau en 2012 face à François Hollande. Il dira alors ne plus vouloir remettre les pieds en politique. Il aura ainsi fait 10 ans dans la politique avec comme ennemi numéro 1 le Front National, même si Jean-Marie Le Pen a salué « sa mémoire » et le « caractère exceptionnel de sa personnalité », dimanche dernier à l’annonce de sa mort. Bernard Tapie se sera donc fait un nom, malgré ses passages éclairs et ses discours souvent remarqués.
Crédit Photo : Archives AFP
Si Bernard Tapie est fascinant par bien des aspects, il demeure important de rappeler son parcours judiciaire qui lui aussi, dénote. Ses premiers problèmes avec la justice font écho, peut-être, au temps où il s’est inventé un parcours scolaire et des qualifications brillantes alors qu’il n’a jamais été un écolier assidu.
Une de ses premières entreprises avant son succès, Cœur assistance, lui a valu un an de prison ferme, et s’il a accumulé les problèmes judiciaires, les deux plus connus restent l’affaire Adidas - Crédit Lyonnais et l’affaire VA-OM. Ces deux affaires sont complexes et nécessiteraient des articles complets à elles seules, mais un résumé est possible.
La première est une affaire qui ne s’est résolue que par le décès de Bernard Tapie. Il devait mettre en vente Adidas, pour rejoindre le gouvernement, et a donc confié la vente au Crédit Lyonnais. En estimant que la banque a réalisé une plus-value sur son dos en 2008, soit seize ans après les faits, il gagne le procès et l’état doit lui verser quelques 403 millions d’euros. Mais en 2015, la Cour d’Appel de Paris revient sur la décision du tribunal et appelle l’homme d’affaire à rembourser l’autre partie.
La deuxième, l’affaire VA-OM est une affaires sportive rocambolesque. Alors qu’il était au sommet de son aventure footballistique à Marseille, Bernard Tapie se voit accusé d’avoir lui et son bras droit, Jean-Pierre Bernes, sollicité des joueurs de l’équipe de Valenciennes pour programmer leur défaite face à son équipe. Ce scandale empêchera le club de jouer la Ligue des Champions dont elle est le tenant du titre, voir son titre de champion de France de 1993 annulé et reléguera les Phocéens en deuxième division. Les conséquences pour le club sont terribles, et le mène à la faillite. Pour Bernard Tapie aussi, qui doit démissionner du « club de sa vie ».
La vie, en trois temps, de Bernard Tapie, dans le monde des affaires, du sport et de la politique est digne d’un scénario de film. Sa soif du succès, son franc parler, son charisme mais aussi son goût pour jouer avec les limites (et parfois les dépasser) fascinent : attachant, il fait figure d’un des personnages français les plus importants de ce dernier siècle.
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