L’article précédent s’était arrêté à la création de la République d’Irlande, qui avait suivi les premières confrontations violentes entre unionistes et nationalistes, nationalistes et britanniques. Les choses ne se sont cependant pas arrêtées là : l’Irlande du Nord, enclave britannique sur l’île d’Irlande bouillonne, les tensions, accumulées, contenues tant bien que mal pendant des années sont prêtes à exploser… Voilà le deuxième épisode d’une affaire complexe, inextricable.
C’est en 1949 que la République d’Irlande (Eire) est proclamée. Libérée de la domination anglaise, une vie politique commence à se créer, le très célèbre nationaliste Eamon de Valera accède au pouvoir en tant que Taoiseach (Premier Ministre Irlandais).
En Irlande du Nord, l’équilibre est précaire. Les Unionistes sont au pouvoir, laissant les nationalistes, non représentés, à la marge. Ces derniers, globalement plus pauvres, vivent dans des quartiers misérables. Les conditions de vie sont dures, des mesures discriminatoires empêchent les catholiques d’accéder à certains emplois. Leurs faibles moyens de subsistance les empêchent de plus de participer à certaines élections locales s’effectuant sur la base d’un suffrage censitaire. Droits sociaux ignorés, droits politiques inexistants, la situation ne pouvait que dégénérer.
Tout change à la fin des années 60, lorsque le succès du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis gagne l’Irlande du Nord et modifie les termes du débat. Désormais les nationalistes catholiques ne demanderont plus l’unification de l’île (bien que l’idée persiste dans les esprits) mais ils se battront pour la reconnaissance de leurs droits civiques et sociaux. Les manifestations se feront sur le modèle de celles ayant cours de l’autre côté de l’Atlantique, pacifiquement. Mais le mouvement grossit rapidement et les altercations violentes se multiplient. Londres fait pression sur le gouvernement régional nord-irlandais pour qu’il intervienne, une pression qui s’ajoute à celle des unionistes voulant protéger le statu quo.
Les violences éclatent en 1968, lors d’une manifestation à Derry dans le Nord de la région, violemment réprimée par la police locale. Les images filmées de cette manifestation feront le tour du monde, la tension augmente encore d’un cran.
Le gouvernement du Royaume-Uni finit par envoyer des troupes pour prêter main forte à la Royal Ulster Constabulary (RUC), police locale traditionnellement unioniste. Afin d’assurer la protection de leur communauté, les catholiques reforment l’IRA (Irish Republican Army), dissoute après la proclamation de la République d’Irlande. La Ulster Volunteer Army (groupe paramilitaire unioniste) est créée quelques temps plus tard. C’est le début de la guérilla entre groupes paramilitaires...
La situation dégénère petit à petit, les attentats se multiplient, Londres voit la situation lui échapper. En 1971, le gouvernement décide d’instaurer l’emprisonnement sans procès préalable. Les catholiques manifestent contre ce qu’ils considèrent comme une mesure liberticide. Le 30 Janvier 1972, une de ces manifestations tourne mal et l’armée britannique ouvre le feu sur les manifestants, faisant 13 morts. Cet épisode est connu, c’est ce que l’on appellera le « Bloody Sunday ».
1972 sera l’année la plus sanglante de la période des « Troubles ». Le gouvernement anglais tente de ramener l’ordre en instaurant le « direct rule », la régulation directe, une mesure d’ingérence faite pour reprendre le contrôle de l’administration de la région.
L’espoir renaît avec l’accord de Sunningdale en 1973. Celui-ci instaure un parlement nord-irlandais, parlement au sein duquel les pouvoirs sont équitablement partagés entre nationalistes et unionistes. Mais rien ne sort de cet arrangement et les tensions reprennent, culminant en 1981 avec la suppression du statut de prisonnier politique pour les nationalistes retenus dans les prisons anglaises. Une nouvelle forme de résistance apparaît : la grève de la faim. Les décès s’enchaînent, c’est cette même année que le tout fraîchement élu à Westminster Bobby Sands, également prisonnier à Belfast décèdera des conséquences de sa grève de la faim.
Les accords politiques font suite aux attentats des groupes paramilitaires. Petit à petit un accord entre les deux communautés, le Royaume-Uni et l’Irlande finit par se dessiner et en 1998, le jour de Vendredi Saint un accord de paix est signé. S’ouvre alors une période de « processus de paix », des progrès sont faits pas à pas, le retour à la normale est progressif. Ce processus de paix est toujours en cours aujourd’hui. On peut d’ailleurs en voir concrètement les effets : à Belfast, un mur sépare toujours ce qui s’apparentait aux quartiers catholiques et protestants. Les portes de ce mur sont fermées chaque soir à 18h, condamnant le passage entre ces deux parties de la ville.
L’accord est récent, le processus de paix n’est pas achevé, les tensions bien que calmées sont toujours présentes… Si l’entrée dans le marché unique européen avait permis d’éviter la question d’une frontière irlandaise, celle-ci revient en force à l’heure du Brexit. L’instauration d’une frontière signifierait en effet l’abandon de l’idée d’une Irlande réunifiée ou d’un Royaume-Uni à cinq « nations ». Où pourrait-on donc placer cette frontière européenne pour éviter toute reprise de tensions ? C’est là tout l’enjeu du backstop…
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