La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise a été chargée de faire une étude et d’établir un bilan des violences sexuelles commises dans un cadre religieux. En 2018, la Conférence des Evêques de France ainsi que la Conférence des Religieuses et Religieux en France ont pris la décision de dresser un bilan de cette situation, catastrophique pour la société. Le chiffre s’élève en effet à près de 330 000 victimes, relevées entre 1950 et 2020. Le but premier de ces organisations était d’éviter et de prévenir les répétitions de ce phénomène. Ainsi ont débuté plus de 2 ans de dur labeur pour les chercheurs réquisitionnés et pour le président de la Commission, Jean-Marc Sauvé.
Un déroulement d’enquête organisé
L’étude des faits était divisée en trois enquêtes : la première concernait les victimes, la seconde consistait à l’étude des archives ecclésiastiques et la dernière au traitement de la presse. Un spécialiste était à la tête de chaque enquête et chacune d’entre elles a permis d’établir des estimations quant aux nombres de victimes et d’agresseurs. Les deux grandes enquêtes restent les deux premières. La sociologue Nathalie Bajos et l’historien Philippe Portier ont chacun dirigé leurs enquêtes. L’enquête générale n’étudiait pas seulement les cas relevés dans l’Eglise mais aussi ceux observés dans des cadres familiaux, amicaux … Ici est tout l’intérêt de l’étude puisque celle-ci permet de comparer différents domaines de la vie courante. Ainsi, Nathalie Bajos affirme « l’enquête française est la seule qui permet de comparer ce qui se passe en population générale ».
La Commission a utilisé plusieurs outils afin d’étudier le plus scrupuleusement possible le phénomène. Les sources principales citées furent les questionnaires remplis par plus de 1600 victimes, les scripts de plus de 40 témoignages ainsi que les archives de 35 diocèses et 17 congrégations (regroupant à elles seules 80% des agressions sexuelles déclarées).
La révélation du rapport et ses données chiffrées terrifient et révoltent
Mardi 5 octobre 2021, la Commission Sauvé a rendu public son rapport. Il a notamment permis d’établir le nombre de victimes : 330 000. En effet, 216 000 personnes victimes ont été agressées sexuellement lorsqu’elles étaient mineures par des membres du clergé et plus de 110 000 victimes ont été agressées par des personnes lors d’activités religieuses (catéchèse, camp scout …). Ce phénomène est donc massif et qualifié par la Commission comme « systémique ». Cet état des lieux a fortement bouleversé la société française ainsi que l’Eglise catholique. « L’Eglise catholique est, hormis les cercles familiaux et amicaux, le milieu où la prévalence des violences sexuelles est la plus élevée » déclare Jean-Marc Sauvé. L’étude de ces données montre alors que depuis 1950, environ 3000 prêtres, diacres et religieux nommément connus ont infligé des violences sexuelles à des mineurs ou à des majeurs vulnérables.
Comment expliquer ce phénomène systémique ? De nombreuses causes proviendraient de la spécificité de l’Eglise. Aussi, le droit interne de l’Eglise a été jugé inadapté par la Commission, ne faisant aucune place aux victimes. De plus, la doctrine catholique avec son excessive sacralisation de la personne du prêtre et la survalorisation du célibat a été fortement blâmée. La Commission a permis de démontrer que ça n’a été qu’à partir des années 1990 que l’Eglise a commencé à prendre en compte l’existence des victimes. Certaines mesures ont été prises par le clergé mais elles ont été, pour la grande majorité insuffisantes et tardives.
Les mesures proposées pour lutter contre ce phénomène systémique
La Commission a pour mission d’étudier les faits afin d’établir des propositions de réparation à l’Eglise. Ainsi, 45 recommandations adressées aux évêques et aux religieux ont été établies afin de prévenir de la répétition du phénomène des violences sexuelles. Aujourd’hui, l’Eglise est appelée à reconnaître les faits, leurs ampleurs et leurs dommages. Un dernier sujet plus complexe est l’indemnisation des victimes qui le souhaite. Cette mesure serait perçue pour certains comme l’aboutissement du processus de réparation.
Depuis la publication du rapport Sauvé, un appel à la démission collective des évêques catholiques a été lancé sur les réseaux sociaux. Trois personnalités majeures portent cette requête : Christine Pedotti, directrice de la rédaction de Témoignage-chrétien, François Devaux, cofondateur de l’association La Parole Libérée, et enfin Anna Soupa, théologienne. L’hashtag #MyChurchToo appelle à la réforme de l’Eglise et propose une « destitution salutaire » des évêques de France. En effet, selon les partisans de cette idée, la démission des évêques serait la seule issue honorable et l’organisation ecclésiastique aurait besoin de se défaire de ses dirigeants afin de se reconstruire.
Crédit Photo : AFP
La pédocriminalité dans l’Eglise doit disparaître et l’Eglise va devoir pour cela prendre sa part de responsabilité. La parole et les témoignages des victimes ne cessent de se multiplier depuis que le rapport a été rendu public. Les victimes attendent toujours pour certaines la reconnaissance des faits de la part de l’Eglise, crient leurs souffrances et partagent leurs témoignages grâce à des associations. François Devaux exprime ainsi sa tristesse face à la non-réactivité que l’Eglise a pu avoir face à ce phénomène : « Vous êtes une honte pour notre humanité, vous avez piétiné par votre comportement l’obligation de droit divin naturel, de protection de la vie et de dignité de la personne, alors que c’est l’essence même de votre institution ». La question est maintenant de savoir si l’Eglise reconnaîtra l’entièreté de ce rapport et appliquera des mesures conséquentes et suffisantes afin de reconnaître les victimes et freiner le phénomène.
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