4 mois après le revirement de la Cour suprême des États-Unis sur l'arrêt Roe vs Wade qui, depuis 1973, protégeait les femmes quant à leur liberté concernant l’IVG, l'inclusion du droit à l'accès à l'avortement dans la Constitution a été rejetée par les sénateurs français. Ce mercredi 19 octobre 2022, le Sénat n'a pas adopté la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, portée par la gauche. Elle a été rejetée par le palais du Luxembourg (à majorité de droite) à 172 voix « contre » et 139 voix « pour ».
Après des années de lutte pour ce droit des femmes, la menace d’un revirement français en cas d’arrivée au pouvoir d’une majorité hostile à l’IVG gronde. Le refus de constitutionnalisation de ce droit menace l’équilibre et l’esprit de la loi Veil. C'est pourquoi un projet de révision de la Constitution avait été ambitionné pour protéger ce droit, et empêcher le législateur de faire obstacle au droit d'avortement et d'approfondir son caractère inaliénable, qui ne concerne que la femme et son corps. Trois propositions de textes ont été soumis, la première ayant été rejetée le jour même de sa proposition. Le suivant, proposé par la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES) a pour ambition d’insérer dans l’Article 66.2 de la Constitution française : ”Nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits”. Renaissance, Parti présidentiel, est quant à lui plus bref et propose d’une simple phrase : “Nul ne peut être privé de droit à l'interruption volontaire de grossesse” mais conforte aussi néanmoins ce droit des femmes, maîtresses de leur décision. Il est malheureusement nécessaire de rappeler que comme les hommes, la liberté de la femme découle de l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Comment le caractère fondamental d’un tel droit peut-il être encore remis en cause dans nos sociétés occidentales ?
Rappelons la longue lutte des femmes pour obtenir leurs droits à travers quelques dates :
Malgré Olympe de Gouges qui publie, en 1791, la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne : “La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droit” (Art. 1), la Révolution française ne modifie pas la condition des femmes et ne leur ouvre pas le chemin de la citoyenneté. Au contraire, en 1804, le code civil institutionnalise l'infériorité de la femme qui “doit obéissance à son mari”.
Sous la IIIe République, les femmes bénéficient d'avancées civiles comme l'accès à l'instruction. La Première Guerre mondiale démontre qu'elles sont indispensables au bon fonctionnement de l'économie.
Ce n’est qu’en 1944 que les femmes obtiennent le droit de vote, par le gouvernement provisoire de la République française.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, les revendications des femmes portent sur tous les domaines de la vie sociale, économique et politique et militent pour une réelle égalité.
Le 27 octobre 1946, l'égalité entre hommes et femmes est inscrite dans le préambule de la Constitution : “La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme”.
En 1967, la loi Neuwirth autorise la contraception. Les décrets d’application ne sont cependant écrits qu’en 1971.
1974 : Simone Weil est nommée ministre de la Santé sous le gouvernement de Jacques Chirac.
La loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dite “loi Veil” est adoptée pour une période de 5 ans le 17 janvier 1975. Ce n’est qu’en 1979 que la loi sur l’IVG rend définitives les propositions de loi de 1975 et supprime notamment certaines entraves à la réalisation de l’IVG, concernant les modalités d’accord du médecin et l’accueil dans les services hospitaliers.
Une loi est promulguée en 2014 pour l’égalité entre les hommes et les femmes, après des années de lutte. Le texte vise à combattre les inégalités hommes-femmes dans la sphère professionnelle, publique et privée. En outre, la loi supprime la notion de “détresse” dans le cadre d’une demande d’IVG. Elle est remplacée par l’expression “qui ne veut pas poursuivre sa grossesse”.
2015 : plan d’amélioration de l’IVG.
2016 : La loi de modernisation de notre système de santé supprime le délai minimal de réflexion d’une semaine pour l’IVG. Elle permet aux sage-femmes de pratiquer des IVG médicamenteuses, aux centres de santé de pratiquer des IVG instrumentales et aux infirmiers scolaires de délivrer la contraception d’urgence.
Depuis la loi Veil en 1975, le recours à l’IVG concerne des dizaines de milliers de françaises chaque année. Aujourd’hui, il semble que la lutte ne soit pas finie. L’actualité nous rappelle à l’ordre : nos droits ne sont ni garantis, ni éternels. Nous devons mener cette lutte constante pour les conserver, même dans des régimes démocratiques et modernes comme ceux de nos grandes puissances occidentales. L’accès à l’IVG demeure un droit toujours fragile : lorsqu’il est toléré, il n’est pas garanti.
Au Texas et depuis peu, l'avortement est quasi interdit et l'Etat offre une prime à la délation. L’Etat de l’Arkansas criminalise également l’avortement. Malte, l’Andorre et le Vatican interdisent encore l'interruption volontaire de grossesse même en cas de viol, d'inceste, de maladie du fœtus ou de danger pour la mère. A Gibraltar, la loi sur l’IVG est parmi les plus dures au monde, bien que ce soit un territoire britannique. La quasi-interdiction de l’avortement est entrée en vigueur en Pologne, en octobre 2020. Le tribunal polonais estime que l'IVG est incompatible avec la Constitution. Et dans notre pays, le Sénat refuse d’allonger le délai légal de l’avortement.
Manon Dubernard Fernandez
Bel article !! 👍
Excellent article !!!!